Publié le 20 avril 2021
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« Faire du design, ce n’est pas donner forme à un produit plus ou moins stupide pour une industrie plus ou moins luxueuse [mais] une façon de débattre de la vie ».
– Ettore Sottsass
Plus de cent ans après sa naissance, quinze ans après sa mort, le nom du maestro italien résonne encore et son œuvre se retrouve toujours à l’affiche de nombreuses expositions et parmi les grandes collections des musées d’art du monde.
De l’architecture à l’anti-design, du dessin à la photo, retour sur le parcours d’Ettore Sottsass, précurseur d’une vision nouvelle du design et philosophe du design comme il ne s’en fait plus…
Valentine
Designer, architecte ou artiste ? Il se définissait comme architecte.
Ceux qui l’ont bien connu voyaient en lui un artiste.
Mais la plupart d’entre nous ont retenu de lui son travail de designer.
Valentine, la machine à écrire rouge conçue pour Olivetti, ou l’étagère Carlton, créée avec le groupe Memphis… des icônes.
L’histoire d’Ettore ?
Fils d’Ettore Sottsass, architecte, le jeune Ettore suit des études d’architecture et, appelé sous les drapeaux par l’armée italienne, il est envoyé dans les montagnes du Monténégro où il est fait prisonnier et passe la majeure partie de la Seconde Guerre mondiale dans un camp de prisonniers à Sarajevo.
À son retour, il rejoint son père et conçoit quelques projets d’architecture, mais le créateur anticonformiste se détourne toutefois vite de cette discipline et prend rapidement son envol en se dévouant au design en tant qu’instrument de requalification du mode de vie.
En 1947, il s’installe à Milan où il ouvre son agence de design qui répond à tous les domaines de création : la céramique, la peinture, la sculpture, la photographie, les bijoux, les meubles, le graphisme, l’architecture, l’architecture d’intérieur… une approche multidisciplinaire totalement avant-gardiste !
Plus tard, malade, il est contraint de se faire soigner aux États-Unis, en Californie où la découverte du pop’art qui sera, pour lui, une révélation.
Son œuvre comprend le design de mobilier, la joaillerie, le verre, l’éclairage, les objets décoratifs et le design de technologies de travail, autant que le design d’intérieur et l’architecture.
Olivetti un jour, Olivetti toujours
En 1958, Sottsass devient consultant designer chargé de la Division électronique pour Olivetti. À ce titre, il participe à la création du premier ordinateur italien, l’Elea 9003, pour lequel il reçoit le Prix Compasso d’Oro en 1959. En 1969, il conçoit, avec Perry A. King, la machine à écrire rouge Valentine 14 considérée comme l’une des créations marquantes du design du XXe siècle. Légère et transportable dans une mallette, elle séduit par son aspect ludique inspiré du pop art.
The Elea 9003/200 ordinateur
Source : www.domusweb.it
Valentine, 1969 Affiche. Publicité pour la machine à écrire. Impression Offset. Éditeur Olivetti (Italie)
Crédit Photo : Adagp, Paris, Jean-Claude Planchet www.elea9003.it
Le designer industriel et ancien directeur du Département de design industriel de l’Université de Montréal, Albert Leclerc, qui a longtemps travaillé avec Ettore Sottsass, se souvient de la frustration avec laquelle le designer évoquait son expérience en tant qu’architecte : « Il me disait qu’une fois construites, il ne reconnaissait pas les maisons qu’il avait conçues ». Pourtant, ses meubles seront toujours très « architecturaux ».
Groupe Memphis
S’étant consacré à l’écriture et au dessin de 1966 à 1974, Ettore Sottsass se replonge dans le design et ne contraint pas à la conception et la réalisation de beau mobilier. En grand dénonciateur du consumérisme qu’il est, il se sert alors du design afin de repenser notre société.
« Bien avant le Groupe Memphis, chez Olivetti, nous étions tous de jeunes designers dont aucun n’était italien, ce qui était avant-gardiste pour l’époque », se souvient Albert Leclerc.
Au sein du Groupe Memphis, Sottsass s’est entouré de jeunes designers dont les réalisations mettaient à l’honneur des couleurs primaires et des lignes déstructurées pour un style qui n’est semblable à aucun autre. Fidèles à cette démarche qui allait à l’encontre de la consommation de masse et de l’industrialisation du design, les pièces étaient produites dans des séries très limitées et s’adressaient à une clientèle d’élite qui ne doit pas être séduite par la qualité du service rendu par l’objet, mais par son allure et son esthétisme.
Le groupe Memphis, nommé après une chanson de Bob Dylan, naît de cette volonté de produire du mobilier design en tant qu’œuvre d’art dans l’optique d’instaurer une nouvelle forme de relation entre l’homme et l’objet.
Memphis devient l’expérience de la maturité :
« À force de marcher dans des zones d’incertitude, à force de dialoguer avec la métaphore et l’utopie, à force de rester à part, nous avons accumulé aujourd’hui une certaine expérience. Nous sommes devenus de bons explorateurs ».
La présentation de leurs meubles en pièces uniques au Salon du Meuble de Milan connait un succès immédiat. Caractérisées par leurs formes innovantes, leurs couleurs vives et assemblées de manière inhabituelle avec des matériaux bon marché, les pièces de la collection Memphis tranchent par leur côté joyeux et optimiste.
Archi artiste
À l’inverse, lorsqu’il s’adonnera de nouveau à l’architecture, vers la fin des années 1980, il donnera à ses pavillons les formes hybrides et éclatées ainsi que la polychromie qui ont fait la marque du Groupe Memphis.
Car Sottsass a de multiples talents. Architecte et designer, il est aussi peintre, photographe, céramiste, voire philosophe…
S’il se défendait d’être artiste, beaucoup, à commencer par Albert Leclerc, le considéraient comme tel. « C’était un artiste par sa production multiforme dont la sensibilité allait bien au-delà de la conception de simples objets. »
Un amoureux de la vie
« Plus que de s’attarder à certaines périodes très médiatisées de sa vie, il importe de considérer le cheminement de son travail à travers le temps », soulignait au moment de son décès Diane Charbonneau, du Musée des beaux-arts de Montréal. En effet, c’est la seule façon de comprendre l’apport de ce maître designer. Sottsass était un amoureux de la vie qui aimait ce qui émerge, ce qui évolue. Il savait s’entourer de jeunes et de designers de cultures différentes.
Cet amour de la vie au sens littéral, c’est-à-dire l’amour du mouvement sous toutes ses formes, Sottsass le traduit par un véritable acte politique : dessiner pour le bien des gens. Cependant, cet objectif ne sera jamais exempt de contradictions.
Soucieux de créer pour tous, il va néanmoins privilégier l’artisanat plutôt que la production de masse, avec laquelle il est fâché. Ses objets déjantés seront plébiscités par les musées du monde entier, quoiqu’il en revendique toujours la fonction utilitaire.
Téléphone Énorme pour Enorme Corporation, 1986. Design : Ettore Sottsass, Marco Zanini et Marco Susani. Photo : Santi Caleca.
Parmi ses réalisations marquantes, Telefono Enorme, conçu avec David M. Kelley pour Brondi fait aujourd’hui partie de la collection du MOMA, tout comme plusieurs de ses dessins.
Designboom a partagé une vidéo du maître qui livre sa vision de la sérénité. La voici…
Ainsi, l’apport de ce designer génial réside dans le fait qu’il aura contribué à modifier profondément notre conception du design.
« Si aujourd’hui, on connaît un décloisonnement des pratiques en design, c’est sans doute parce qu’Ettore Sottsass nous en a montré la voie », remarque Maurice Cloutier, professeur à l’École de design de l’UQAM.
Arrivederci Signore Sottsass…