Smoked Meat / Publié le 28 novembre 2020
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INTÉRIEURS 48
SMOKED MEAT
JEAN-PIERRE VIAU
Je suis un architecte d’intérieur et je fais le ménage !
Rédigé par Madeleine Champagne et Anne Darche
et publié dans INTÉRIEURS 48, AUTOMNE 2009.
Revu et mis à jour par Juli Pisano pour INT.design en 2021.
COMMENT LA PHOTO D’UN SINGE PEUT-ELLE CHANGER LE COURS DES CHOSES ?
Il était une fois un chef japonais Junichi Ikematsu qui lors de la fermeture du resto Soto voulait, découragé, retourner chez lui.
Arrive Viau qui lui propose de lui dessiner un resto, avec peu de sous et beaucoup de flair. Le chef est heureux, Viau aussi.
Nait en 2005, dans la jungle urbaine de Montréal, JUN I, premier restaurant oriental à thématique « nordique ». Aucun bambou au décor. Plutôt, ce sont des photos d’arbres en hiver, des chaises en fourrure, du velours à profusion, une nouvelle manière d’offrir sushi et sashimi que Viau imagine.
L’éclair de génie ? Une photo de singe dans l’eau chaude avec de la neige dans le toupet (le macaque qui se dandine dans les sources thermales de Jigokudani Park. Oui, oui… il neige au Japon !)
Et, oui, oui, la nourriture japonaise peut se décliner autrement. Kampai !
ET CE N’EST PAS LA PREMIÈRE FOIS QUE VIAU MODIFIE LA DONNE !
Cette réécriture n’est pas la première. Souvenez-vous de Citrus au décor signé par Viau. L’histoire se joue ainsi. 1989, Normand Laprise, qui a depuis fait son renom grâce au Toqué notamment, devenait chef cuisinier au restaurant Citrus ayant pignon sur rue sur le boulevard Saint-Laurent, à Montréal.
Ce fut le début de la notoriété de Laprise, mais aussi de celle de Viau. Fort bien coté côté bouffe, l’endroit qui n’a pas survécu aux années 90s réinventait également le décor du restaurant branché. Loin des chaises Louis XIV ou autres flaflas dorés ou argentés. Viau avait sévi.
Et PS : Laprise et Viau devinrent collaborateurs à vie ! S’ensuivirent la Brasserie T, le Toqué, la résidence du chef et tralali et tralala.
DU CHIANTI À LA PIZZA
Cela fait maintenant plus de 30 ans que Jean-Pierre Viau et design d’intérieur de resto font bon ménage.
À preuve, les pizzérias branchées Pizzédélic, autres makeovers de Viau des années 1990s. Un décor caractériel tranchant à l’époque avec les nappes à carreaux de la pizzéria traditionnelle de quartier. Succès immédiat.
25 ans plus tard… Chianti, pizza et Viau s’arriment toujours à merveille! Cette fois, ce sont les franchisés de la pizzéria bon chic bon genre Pizza 900 qui ont su confier au talentueux designer la tâche d’aménager leurs concepts de salles à manger.
TRAVAILLER AU LIT
Bien avant l’époque de télétravail forcé dans laquelle nous nous retrouvons ces temps-ci, voilà que Jean-Pierre était précurseur et travaillait au lit !
C’est de sa chambre à coucher, l’endroit qu’il préfère de sa maison qu’il transcrit des idées, dessine des croquis et conçoit des aménagements, dans un cahier noir sans façon, avec un stylo Pentel tout à fait banal. Il s’y sent libre, ouvert, inspiré, bien appuyé sur son oreiller. Plus d’une centaine de restaurants y ont étés conçus… ça donne envie d’un p’tit dej au lit !
J’SUIS UN GARS PLATE, QU’IL DIT !
La carrière lui est arrivée comme ça, sans philtre magique, de gourou ou de moment initiatique. Sa démarche ressemble à l’assemblage d’un jeu de Lego – mais quel jeu ! Bloc par bloc, il résout les problèmes et ne cherche pas la solution bonbon. Il hait magasiner. Ne tripe pas tant sur le mobilier et n’est pas plus «people», ni fashion, qu’il faut ! Il ne sort pas, ne va pas au cinéma et voyage peu. Ceci l’amène à répéter avec le sourire du chat du Cheshire d’Alice au pays des merveilles : « Je suis plate, plate, plate. »
Ne vous laissez pas prendre ! Ne soyez pas dupé et surtout, ne le croyez pas sur ces paroles! Sous des allures de petit garçon sage aux yeux bleus («aigue-marine» insiste Madeleine Champagne), c’est un audacieux, un brave qui réinvente le design à chaque fois qu’il se met à l’œuvre, avec, dit-il, « un clin d’œil, un oups et même une oupelaille ! ».
Il pratique également un humour autodépréciatif avec un flair rare. Y’a tout simplement pas plus discret et anti-stardom que le charmant Viau !
DU TOQUÉ AU MAGNAN, UN HOMME POUR TOUTES LES SAISONS
On reconnait dans les intérieurs imaginés, une intelligence propre à Viau. La prévenance, l’audace. Il veut «shaker» les gens sans les provoquer. Il veut parler au nom de la masse.
Connaissez-vous de nombreux architectes d’intérieur capables de concevoir avec succès à la fois le restaurant le plus huppé de la ville (Toqué) ET la plus populaire des tavernes populaires (Magnan) ? Et que dire des stands de cosmétiques Make up for ever, des boutiques Fillion Électronique, de son tout premier resto, le Cafétéria… ce créateur est un homme pour toutes les saisons !
IL LIT AUSSI AU LIT !
Des polars à la tonne, pas de la littérature. Depuis toujours, même avant que Professeur Langdon soit appelé à démystifier le Code Da Vinci. Trente minutes tous les soirs, pour se laisser porter dans les bras de Morphée. Intrigue, questionnements, raisonnements, intrigue, interrogations, déductions et… zzzzzzz… à demain !
L’ACCIDENT, LE NÉANT, LE RETOUR
Un grave accident de vélo survenu au début des années 2000 plonge Jean-Pierre dans un coma qui perdurera de nombreuses semaines et impliquera une longue rémission. Deux anges gardiens, observant de près, sont alors venus à sa rescousse.
Le premier : son équipe de sept personnes, un ange à sept têtes qui a pris le relais de la gestion et de la créativité pendant deux ans.
Le second : Les chèvres de Monsieur Beausoleil. Claude Beausoleil est l’un des plus grands restaurateurs que le Québec ait connus. C’est lui qui donne à Viau un premier défi de création après sa longue convalescence, le design du restaurant Les Chèvres, un restaurant végétarien qui aurait un look tout à fait nouveau, ne respectant en rien le catéchisme convenu des restaurants végétariens. Une belle réalisation accomplie à un rythme plus lent (3 jours / semaine) grâce à la complicité de Monsieur Beausoleil.
En lire plus sur cette histoire…
« ET SI BOIRE EST UN VICE, CALE VERRE EN EST UN AUTRE ! »
2017. Boulevard Saint-Laurent.
Une microbrasserie offrant aux amateurs de bière une vaste sélection de houblon ainsi que des plats savoureux s’installe sur la Main.
Viau embarque pour y créer un décor brut aux airs soft industriels et aux références amusantes au monde du cyclisme, mode de transport de prédilection des citadins du quartier.
Ici, des pièces de vélo se transforment en lustres et en objets décoratifs qui captent l’attention et créent l’identité.
2008. Décor résidentiel épuré, inspiré par l’environnement en nature… À vous de trouver toutes les couleurs qui s’y retrouvent !
AH COULEUR, DIS MOI QUI ES-TU ?
C’est un rapport étrange que l’homme entretient avec la couleur. Il voudrait toutes les mettre sans qu’on en remarque aucune ! Ou encore, il se dit : pourquoi être subtil ?, et opte pour un rouge vif comme celui du comptoir de la cuisine de Toqué. Et en mode dessin et bien, il utilise délibérément les mauvaises couleurs afin d’éviter que les clients tombent prématurément amoureux de détails à venir. « Mes dessins ne sont pas finaux. Je ne souhaite pas me commettre à des couleurs trop tôt ! »
MONTRÉAL COMME UN TANGO LENT
De Montréal, il aime la nonchalance, les deux édicules du pont Jacques-Cartier et puis pas beaucoup plus, sauf la résilience extraordinaire de la Ville.
Il a une affection toute particulière pour le quartier Mile-End toutefois ! De haut en bas, d’est en ouest ! Bien qu’il dit qu’il s’adapterait à vivre n’importe où, il est resté dans son quartier. St-Urbain, Fairmount, Hutchison… ce sont les rues et ruelles qu’il a faites siennes. L’apprentissage de Duddy Kravitz de Mordecai Richler, c’était dans sa cour, à son adolescence ! Aujourd’hui, le quartier de choix est l’endroit où Jean-Pierre cultive ses tomates et chasse les écureuils… un sport national !
À VOS MARQUES…
Sa mère et son père mécanicien à la Ville de Montréal ont légué un héritage précieux à Jean-Pierre, son frère et ses quatre sœurs : le respect et sans doute aussi le sens des responsabilités.
Nous pouvons dépeindre le petit JP comme un louveteau, un scout et ensuite… un grand chef scout. Et on peut l’imaginer pendant
ses trois étés à Terre des Hommes (Expo 67), travaillant comme préposé au stationnement, agent de transport puis agent de sécurité. Cet homme inspire la confiance.
RÉVÉLATION !
Qui le rencontre tombe sous le charme fou d’un homme au visage d’enfant dans une chemise blanche unie CUM jeans CUM baskets. Il nous rappelle le petit artiste intellectuel attachant de la cour d’école… au délicieux sens de l’humour et quel talent !
UN PRIX, PUIS UN AUTRE !
Au fil des 3 dernières décennies, les projets commerciaux signés Jean-Pierre Viau Designer, ont su, non seulement relooker la ville et ses endroits phares plus d’une fois, ils ont remporté des honneurs et distinctions au passage. En voici quelques-uns, récompensés par un GRANDS PRIX DU DESIGN dans les dix dernières années !
PATRICE PÂTISSIER,
GRANDS PRIX DU DESIGN 2014 – Restaurant & Bar, Comptoir alimentaire
Installé rue Notre-Dame Ouest, dans la Petite-Bourgogne, un peu à l’est de la rue Charlevoix, Patrice Pâtissier n’est pas une pâtisserie blanche et rose comme des dragées de baptême.
Que non !
On y pénètre dans un lieu à saveur de nordicité contemporaine à l’âme ponctuée de bois et jazzée d’un mur mandarine dans la cuisine.
Le but ? Apporter une touche légèrement masculine, mais à la fois chaleureuse et conviviale à l’aménagement de l’espace. L’œil s’y régale et le client curieux peut observer par la grande baie vitrée les pâtissiers et pâtisseries ! De grandes portes coulissantes dans la salle à manger dévoilent la pièce où se déroulent les cours de cuisine.
« Cerise sul sundae » ? Une bibliothèque remplie de livres de cuisine et les créations pâtissières de Patrice se côtoient agréablement dans ce décor gourmand et urbain.
Article sur le projet ici
BOUTIQUE GEORGES LAOUN OPTICIEN,
GRANDS PRIX DU DESIGN 2012 – Espace commercial, 1 600 à 5 400 pi. ca.
Depuis toujours, les arts et l’appui à la culture font partie intégrante du plan d’affaires de Georges Laoun Opticien. C’est donc tout naturellement que l’entreprise soit établie depuis 1999 au Musée des Beaux-arts de Montréal. La famille Laoun rencontre Jean-Pierre grâce aux intermédiaires du Musée et nait, en 2012, la nouvelle boutique.
La ligne directrice ? Tenir compte de la mission artistique de l’entreprise et de la possibilité qu’ont les artistes d’y exposer des œuvres en tous genres au sein de l’espace.
Un espace lumineux aux lignes simples est ainsi créé. Surélevés, les présentoirs qui ne touchent pas au sol accentuent l’aspect aéré de la boutique, où les montures de lunettes semblent flotter en apesanteur.
Article sur le projet ici