People / Publié le 7 juin 2021
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INTÉRIEURS #68
KOEN DE WINTER
Entretien par Madeleine Champagne et Anne Darche, publié dans INTÉRIEURS # 68 – 2016, à l’occasion de la remise du prix Hommage du GRANDS PRIX DU DESIGN 2016 à Koen de Winter, céramiste, artiste, designer. Mise à jour en 2021 par Juli Pisano pour INT.design.
RIEN QUE DE LA CLASSE
Dans ce lieu au bois blond, un homme me regarde avec un sourire d’une grande sérénité, chemise bleu pâle, pantalons beiges, écharpe en laine couleur tabac. Tout chez lui respire la sagesse, l’équilibre, la bonté. Tel est Koen De Winter.
RÉSILIENCE
Il est né le 28 mai 1943, à Mortsel, en Belgique. Il a connu une enfance qu’il qualifie calmement de « surréaliste ». Un exemple ? Dans cette commune écroulée, les enfants arrachent le papier peint des murs détruits pour faire des dessins et leur enseignante, sœur Félicienne, propose alors au petit Koen de colorier la couronne de l’avent en respectant les formes, mais avec un seul crayon ! Un crayon noir ! Souvenir amer ? Au contraire, cette étape lui a donné le sens de la fraternité, de la concision, du travail bien fait.
SA MODERNITÉ
Autre ferment de sa modernité, sa jeunesse d’après-guerre, pendant laquelle, privé de beurre, de potages crémeux et de pain blanc, y goûter pour la première fois ne fut pas l’extase annoncée. La vie, l’espace, les formes, plus rien n’était pareil… À compter de là, tout devait être différent et nouveau.
LA VIE, LA VIE
Diplômé avec distinction en conception de produits de l’Akademie voor Industriële Vormgeving Eindhoven, il a adopté tôt un mantra qui lui sert toujours: « Sobre est loin d’être sombre. »
DES ASSIETTES GRIFFÉES
Après un passage chez Volvo, en Suède, il est rappelé chez Mepal Service B.V., aux Pays-Bas, pour y développer un service à usage unique. Motivé par une conscience environnementale éveillée par le rapport du Club de Rome, il propose plutôt un système plus rationnel de lavage, d’entreposage et de manipulation de services durables. L’économie par rapport au jetable est si importante que le système se propage rapidement partout en Europe. Après avoir accompli cette tâche, il crée aussi des assiettes en mélamine signées de son nom au dos. Simples et élégantes, celles-ci sont ainsi faites que lorsqu’elles se frôlent ou qu’on les empile, elles ne peuvent pas se toucher, donc se rayer. Déjà pour lui, les objets devaient durer longtemps. Quarante ans plus tard, ces assiettes sont toujours en production.
SON TRAVAIL A TOUJOURS ÉTÉ UN TOUR DE FORCE !
« Chaque morceau de Koen de Winter que j’ai vu », déclare le critique DC Wilson, « est un subtil tour de force du design, non pas par rapport à l’auteur, mais à ce qu’il a conçu. Sa signature est-elle que l’objet ressemble à la fois à la dernière et propose une belle évolution d’un produit, peu importe sa taille ou sa complexité. Il peut examiner n’importe quel objet plus profondément qu’on ne le pense possible, discerner les principes hérités de sa conception, les travailler et les améliorer, et produire un produit qui a l’air… à la fois nouveau et comme s’il avait toujours existé. »
LE CANADA L’A VITE REPÉRÉ !
La dynamique entreprise Danesco inc. de Montréal remarque ses produits et le fait venir au Québec. Il travaille pour cette entreprise plusieurs années et en devient vice-président, design. Illico, là et ailleurs, dont pour Hippodesign inc., qu’il fonde avec Ginette Rochon, il dessine et crée un nombre époustouflant de produits tous aussi élégants les uns que les autres, dont l’iconique cuillère et mesure à spaghetti, ainsi que les bols à mélanger avec anneaux de support qui nous sont si familiers et pour lesquels il détient des brevets.
LES MUSÉES DÉROULENT LE TAPIS ROUGE
Possédant une collection de plus de 400 objets, dans des domaines aussi diversifiés que la table, la chirurgie et les loisirs, il voit plusieurs de ses œuvres être acquises par le Museum of Modern Art de New York, le Virginia Museum of Fine Arts, le Royal Ontario Museum de Toronto et le Musée national du Québec, et figurer dans leurs collections permanentes. Reconnaissance donc de son respect des artisans, de son respect de la matière et de sa portée internationale. A star is born…
ATELIER ORANGE
À la suite d’une conférence qu’il a donnée aux jeunes de sa région, déconcertés par leur fatalisme face à leur avenir, et pour soutenir le développement régional de la région de l’Outaouais, il fonde l’Atelier Orange, un atelier de porcelaine et de grès. Là, ils produisent des produits et de la vaisselle fonctionnels et décoratifs de haute qualité avec un goût et une rigueur exquis.
Parlons d’un de ces petits objets intelligents: les presse-citron à main. Ben connus pour être pratiques et efficaces, lorsqu’ils sont utilisés à table, ils salissent la nappe. Pour résoudre ce problème, Koen a conçu un petit socle et, associé à sa salière fleur de sel, l’a intégré à un ensemble attrayant à utiliser à table, aussi précieux qu’un coquillage trouvé sur une plage.
UNE INSPIRATION POUR LE MONDE DU DESIGN INDUSTRIEL
Le fabricant québécois de luminaires, Axis Lighting, procure du travail à plus de 30 ingénieurs et quelque 400 employés, et se trouve fièrement parmi les cinq premiers fabricants de luminaires en importance en Amérique du Nord. Koen s’y est impliqué dès le départ, ayant dessiné plusieurs de leurs produits, d’une beauté exceptionnelle.
Il rougit de bonheur lorsqu’il parle de cette entreprise, qui fabrique 80 % de ses produits au Québec. Son principe moteur est que le design industriel peut créer de bons emplois, en faire vivre ses fabuleux artisans et procurer aux consommateurs des produits de qualité internationale.
MENTOR EN OR !
Pour partager la science de son art et son expérience avec la prochaine génération de designers, il a repris un poste à mi-temps comme professeur à l’Université du Québec à Montréal, où il enseigne tant au premier cycle qu’aux cycles supérieurs. Ses étudiants disent de Koen qu’il est intelligent, authentique et généreux de son temps, qu’il a une âme unique et bien informée.
Anecdote: lors de notre entretien, un jeune collègue enseignant a fait un commentaire depuis l’embrasure de la porte le confirmant ! Koen, j’espère que tu ne rougiras pas facilement !
› Professeur Koen De Winter – UQAM
Rappelons également que le feu Frédéric Metz était impressionné par ses connaissances techniques. Le domaine d’expertise de De Winter est le design industriel, mais il possède également une vaste connaissance des technologies de production. Metz a également reconnu l’intérêt particulier de De Winter pour les éléments de conception qui augmentent indûment la consommation et son expertise des charges environnementales accompagnant l’exploitation et le traitement des matériaux.
› Revoyez Metz et Koen s’entretenir et jugez-en de vous-même !
DE WINTER, UN HOMME DE CŒUR
En y versant son salaire de professeur, il fonde la Fondation Koen De Winter en 1982. Neuf ans plus tard, celle-ci a été transformée en un fonds permanent au nom de Fonds Maud-Haviernick, en mémoire d’une ancienne étudiante en design de l’UQAM et élève de De Winter, qui comptait parmi les femmes tuées durant le massacre de l’École polytechnique de Montréal.
Le fonds donne chaque année une bourse à une étudiante de l’École de design qui poursuit des études de second cycle. Il tient à préciser, les yeux embrumés d’émotion, qu’il n’est pas riche, mais qu’il vit simplement et qu’il est heureux de pouvoir contribuer à cette bourse.
DE WINTER, UN HOMME RESPONSABLE
Je nomme au hasard l’Association des designers industriels du Québec, la Commission pour la révision des lois sur la protection de la propriété intellectuelle, la SODEC, autant de lieux où Koen s’est beaucoup impliqué. À la SODEC, ses efforts portent surtout sur l’intégration des différentes disciplines du design, qui contribuent toutes à notre culture matérielle. Pour lui, la spécificité de notre culture est mal servie par les frontières artificielles entre métiers d’art, design exploratoire, design industriel ou design d’intérieur. Le succès de l’intégration de ces disciplines dans les pays scandinaves lui sert d’exemple et de motivation.
ENFIN, UN HOMME D’UNE GRANDE BONTÉ
Depuis 2001, Koen De Winter, à titre de designer industriel, participe au projet Niagara Foot, une collaboration entre des spécialistes bénévoles qui vise la production de prothèses pour le bas de la jambe en très grande quantité et à prix très modeste. Ces prothèses, qui ont reçu la plus haute distinction de design dans le monde médical aux États-Unis, sont conçues précisément pour les victimes de mines antipersonnelles.
EN SOMME, DANS LES MOTS DE D.C. WILSON…
Koen De Winter a “… une compétence remarquable, capable de n’être exercée que par un esprit de premier ordre avec les antennes d’un artiste, la conscience d’un humaniste, la volonté d’un maître et le cœur d’un ange. ”
ET C’EST POURQUOI
En 2005, son pays de naissance a reconnu sa carrière avec sa plus haute distinction pour le design, le prix Henry Van De Velde. Puis, qu’au Québec, Koen De Winter reçoit aujourd’hui le prestigieux prix Hommage du GRANDS PRIX DU DESIGN de la 9e édition en 2016.
Designer industriel et graphique, céramiste, artisan, professeur à l’école de design de l’UQAM, le talent et la carrière internationale ont valu à Koen de Winter plusieurs prix dont le Design Award, le Best of Canada Design Award et le produit de l’année à Francfort. Récipiendaire d’un doctorat honorifique de l’Université Laval à Québec, Koen de Winter est un céramiste, un artiste, un designer aussi passionné que passionnant. L’entendre échanger lui-même de son métier et de ses inspirations en est la preuve ultime.
En février 2021, l’animateur Martin Léon du Journal de Montréal, en collaboration avec le Conseil des métiers d’art du Québec, créait une rencontre entre l’écrivain Jean Barbe et le designer Koen de Winter pour discuter d’inspiration. Un scoop ? Pour Koen, l’inspiration nait de l’irritation !
Pour Jean Barbe, ça se convoque de l’inspiration ! À défaut de se répéter… le visionnement de la conversation est inspirant !