Tourisme Design / Publié le 11 mai 2021
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Hôtel Fairmont – Le Reine Elizabeth
Traitement royal
Article rédigé par Suzanne Laliberté et publié dans INTÉRIEURS 75, PRINTEMPS 2018. Mise à jour par Juli Pisano pour INT.design en 2021. Photos : Stéphane Brügger, Marc-Antoine Charlebois, Jean-François Lemire.
Une fois franchie la porte de l’hôtel Fairmont Le Reine Elizabeth, on est vite attiré par l’Agora. Dans cet espace libre, des projecteurs suspendus, émergeant d’un fouillis de câbles, font ressortir les fauteuils-bulles et les sièges orangés qu’on dirait importés des années 1960.
Aux murs, des portraits de personnages anciens, tout en moustaches et en chevelures élaborées, renvoient plutôt à l’époque victorienne. Dans cette antichambre hôtelière nouveau genre, les époques se rencontrent et dialoguent, vouées à de nouvelles interprétations, les unes plus modernes que les autres. Ici, comme dans tout l’hôtel, le design emprunte au passé pour donner plus de profondeur à un langage oh-que-tant contemporain.
Fermé un an de temps pour les rénovations, l’hôtel Fairmont Le Reine Elizabeth a rouvert ses portes en 2018.
Pour cet établissement emblématique de Montréal, le projet de design n’était pas une mince affaire, et le résultat valait la peine qu’on s’y attarde. INTÉRIEURS y avait ainsi rencontré Martin Leblanc et Jean Pelland, architectes et associés principaux chez Sid Lee Architecture à ce moment, pour discuter de ce projet marquant.
L’origine du projet remonte à quelques années plus tôt, alors que Sid Lee Architecture avait été invitée par le propriétaire, Ivanhoé Cambridge, à collaborer à son plan d’action « Projet Nouveau Centre », un plan d’investissement de près d’un milliard de dollars dont l’objectif est de redynamiser l’offre de services de quatre grands pôles immobiliers le long de l’avenue McGill College.
De la série d’interventions prospectives recommandées, de grands projets de rénovation ont été confiés à la firme, dont le projet de repositionnement de l’emblématique hôtel Fairmont Le Reine Elizabeth et de Place-Ville-Marie.
Dans ce projet de revitalisation majeur, le Reine Elizabeth se positionne aujourd’hui comme un campus d’affaires d’envergure internationale.
À ce titre, l’hôtel a dû relever un triple dé de se distinguer en répondant aux besoins actuels de la clientèle d’affaires tout en exprimant de manière originale son appartenance montréalaise et en respectant l’identité très claire de l’exploitant Fairmont.
LA CRÉATIVITÉ DANS LA MIRE
Inauguré en 1958, le Reine Elizabeth visait d’emblée une clientèle internationale. Au fil des décennies, de nombreux chefs d’État et personnalités y ont posé leurs valises.
Mais à l’aube de son soixantième anniversaire, l’hôtel devait se remettre en phase avec l’époque et retrouver la faveur populaire.
Pour réaliser cette grande transformation, Sid Lee Architecture a misé sur la culture créative de la ville, qui la distingue et fait son attrait.
Agora – Photo © Stéphane Brügger
« Il faut reconnaître que les gens d’Ivanhoé Cambridge ont été ambitieux, affirmait Jean Pelland. L’hôtel représentant pour eux une magnifique carte de visite, ils ont voulu faire un grand geste et repenser l’espace au grand complet. Ils croyaient sincèrement au potentiel de rayonnement de l’hôtel, à l’échelle de la ville et bien au-delà. De nombreux espaces plutôt traditionnels ont été complètement refaits pour donner vie à de nouvelles fonctions et services, et ce, sans dénaturer l’immeuble ou l’hôtel lui-même », précisait l’architecte.
NOUVELLES PERSPECTIVES
Le paysage hôtelier a bien changé, depuis 60 ans. Le Reine Elizabeth vient d’une époque où les hôtels étaient en quelque sorte refermés sur eux-mêmes, et où les visiteurs, coupés du monde extérieur, jouissaient de services exclusifs.
« Aujourd’hui, un hôtel, ce n’est pas qu’un hôtel : c’est une destination urbaine, affirmait Sébastien Théberge, vice-président aux affaires publiques chez Ivanhoé Cambridge. Et ce que les utilisateurs souhaitent y trouver, c’est un environnement ouvert. » Les architectes se sont donc employés à créer de nouvelles façons d’interagir avec l’hôtel.
« Nous avons ouvert l’hôtel sur la ville pour inviter les Montréalais à s’approprier les espaces, comme s’il s’agissait d’un équipement urbain ouvert à tous », disait Jean Pelland.
Pour y parvenir, les architectes ont créé au rez-de-chaussée un vaste passage transversal, en plus de percer les façades et de donner à chacun des commerces de l’hôtel un accès sur la rue.
Ainsi aménagée, l’allée centrale met en évidence la réception tout en donnant accès aux divers commerces : café, bar, restaurant et marché d’artisans. Accessibles de l’extérieur et de l’intérieur, ces derniers viennent enrichir l’expérience de l’hôtel pour la clientèle comme pour le public montréalais.
Les matériaux utilisés contribuent à définir le nouveau visage de l’hôtel, les architectes puisant dans l’histoire des lieux les références à leur travail de création. En témoignent les tons de noir, bronze et cognac du hall, ainsi que les matériaux intemporels évoquant les années 1970.
Ce mariage entre le passé et le présent joue à la fois de force et de subtilité : ainsi, le grand hall central est ponctué de colonnes et bordé d’imposants piliers recouverts de marbre, mais son plafond est orné de longues plaques dorées, découpées au laser, qui créent de délicats motifs géométriques.
OUVERTURE SUR LA VILLE
CAFÉ KRÉMA
Le café Kréma offre un moment de détente aux passants comme aux clients de l’hôtel.
Espace de transition entre l’extérieur et le hall, il emprunte d’ailleurs à ce dernier plusieurs éléments décoratifs : composantes en bois, éléments de plafond, marbre et matériaux aux teintes terreuses.
Son plancher de céramique noir et blanc, à motifs triangulaires, le rattache également au restaurant voisin ainsi qu’au marché Artisans.
Ce dernier, juste en face, tire parti des cuisines de l’hôtel, nouvellement décloisonnées, pour mettre en valeur
le travail des artisans. Divers comptoirs thématiques offrent au public des produits locaux ou préparés sous la direction des chefs renommés de l’hôtel, à emporter ou à consommer sur place.
Ce marché urbain à l’ambiance de bistro connaît d’ailleurs un succès surprenant (lorsque les mesures sanitaires en vigueur en période de COVID-19 le permettent) à tel point qu’on a dû ajuster l’aménagement pour faire place à plus de tables, preuve que le concept a eu un bel écho auprès du public.
NACARAT
Le soir venu, c’est l’heure de gloire du bar Nacarat, dont le décor s’inspire délibérément du rock des années 1970.
Les teintes de cuivre et de laiton ainsi que les meubles capitonnés contribuent à créer une ambiance chic mais décontractée. Ici, le plafond bas standard de la structure de l’hôtel a valu des maux de tête aux concepteurs,
qui ont utilisé des miroirs et créé une alcôve pour jouer sur les proportions et modifier la perception de l’espace.
Le plancher en terrazzo spécialement conçu crée au sol un motif décoratif élégant et attrayant. Les sièges crème ou beiges constituent un autre motif décoratif, tandis que les banquettes bleu royal et les chaises orange proposent un dialogue de couleurs complémentaires. À l’entrée, la présence des piliers en marbre du hall rappelle le lien que conserve l’espace avec l’hôtel.
ROSÉLYS
Au restaurant Rosélys, transformation rime une fois de plus avec décloisonnement.
La salle à manger, logée entre la cuisine à aire ouverte (servant de pas- sage vers le marché Artisans) et une immense façade nouvellement fenestrée, assume entièrement son statut de lien entre la ville et l’hôtel. La vue magnifique de la cathédrale Marie-Reine- du-Monde est d’une ampleur rare à Montréal. L’intérieur reprend les codes décoratifs des espaces publics de l’hôtel, et crée sa propre marque avec l’ajout de fauteuils et d’un bar vert olive, ainsi que d’une série de banquettes arrondies d’un jaune profond. Les murs accueillent une œuvre d’art longitudinale aux couleurs chatoyantes et une bande d’éléments verticaux en bois, tandis que des éléments décoratifs au plafond, dont un long collier réfléchissant, complètent le décor.
AGORA – QUAND L’ART S’INVITE À L’HÔTEL
Revenons à l’Agora, dernier espace public du rez-de-chaussée, qui fournit à l’hôtel un équipement unique. Mariage entre place publique intérieure et salle multifonction, l’Agora accueille les passants dans un espace éclectique et théâtral qui offre de multiples configurations de sièges adaptables aux besoins du moment. On y trouve des éléments multimédias du projet Cité Mémoire, ainsi que de petites cuisines dissimulées, ce qui lui permet de transformer aisément l’espace en salle de réception.
Geste distinctif dans le renouvellement de l’hôtel : la création d’un parcours semé d’œuvres d’art qui peut devenir une destination en soi. « Nous avons ajouté une couche dans la relation entre le visiteur et l’hôtel, explique Martin Leblanc : une dimension d’exploration. » Un peu partout dans l’hôtel, on découvre ainsi des dizaines d’œuvres d’art positionnées avec soin au fil des espaces.
La sélection des œuvres, effectuée avec l’aide de l’agence MASSIVart, fait la belle part aux artistes canadiens, une autre façon d’inscrire l’hôtel dans son environnement.
La collection comprend 123 pièces de techniques et d’ampleur variées, et culmine au 21e étage, où plusieurs œuvres sont rassemblées dans un espace aux airs de galerie d’art. Attestant du sérieux de sa démarche, l’hôtel a même produit un catalogue pour aider les visiteurs à profiter de ce programme.
Par ailleurs, deux nouveaux escaliers sculpturaux font le pont entre architecture et œuvres d’art, connectant l’espace verticalement et offrant de nouvelles voies de communication entre les étages principaux.
Le premier déploie, à partir de la réception, une gracieuse courbe blanche qui s’élève jusqu’au troisième étage (le CoLab 3). Les marches noires contrastantes, soulignées par un éclairage qui les détache de la structure, semblent otter.
Le second « escalier d’art » relie le rez-de-chaussée au niveau du métro, où il agit comme signal visuel. Également en spirale, il est enchâssé dans de multiples panneaux de verre ambré qui imposent un rythme, décomposent le mouvement et réfléchissent la lumière à différents angles.
CAMPUS D’AFFAIRES
Au deuxième étage,
l’hôtel a conservé ses grandes salles de réception classiques, mais un important travail a été effectué sur les aires communes qui accueillent les préludes aux conférences, dîners ou présentations qu’on y tient.
« À Montréal, affirmait Martin Leblanc, ces espaces sont aussi importants que les salles de conférence elles-mêmes. C’est là qu’on réseaute, qu’on se rencontre, et bien souvent c’est la partie la plus intéressante de l’événement. »
Les espaces reçoivent donc un traitement en conséquence. Le grand corridor central est aménagé comme un salon, avec fauteuils et œuvres d’art, et plusieurs zones ont été créées pour prendre son temps ou se laisser aller au plaisir des rencontres informelles.
Hotel Fairmont Le Reine Elizabeth, 2e étage – Photos © Stéphane Brugger
Le troisième étage de l’hôtel, lui, a complètement changé de fonction. Les chambres qu’il contenait ont été démantelées et l’espace ainsi dégagé a été transformé en une suite de salles de travail personnalisées, baptisée CoLab 3.
Ce tout nouveau campus d’affaires constitue une pièce maîtresse de la vision stratégique du projet, offrant à la clientèle une série d’espaces collaboratifs propres à encourager la créativité.
Inspirés des environnements décloisonnés des entreprises en démarrage ou des espaces de coworking, les aménagements du CoLab 3 privilégient une approche ludique. L’ensemble a été conçu pour accueillir par exemple des séminaires d’entreprise, des retraites créatives ou des réunions de consolidation d’équipe.
L’aménagement polyvalent comprend 13 salles thématiques qui offrent au visiteur autant d’aventures possibles. On y trouve par exemple des espaces de présentation ouverts et décontractés, avec sièges en gradins ou poufs, mais aussi des salles de réunion fermées, qui demeurent conçues pour éveiller les sens.
Dans l’une d’elles, il faut franchir un rideau de billes jaune pour atteindre la table de réunion, jaune elle aussi, qui invite à une rencontre conviviale. Dans une autre, des balançoires favorisent la réflexion en mouvement, tandis qu’une autre encore offre une table de ping- pong de luxe à laquelle on peut (aussi !) s’asseoir pour travailler.
Une autre enfin, qu’on dirait sortie du film Dr Strangelove, joue le jeu de la rondeur et de la théâtralité : le décor noir fait ressortir une table circulaire blanche entourée d’une dizaine de fauteuils en cuir qui semblent attendre d’importants représentants venus d’à travers le monde. Au mur, un assemblage d’écrans incurvés permet d’a cher des présentations audiovisuelles.
Cet étage consacré aux rencontres s’adjoint aussi d’une terrasse qui constitue un réel ajout à l’offre de l’hôtel, puisqu’elle fait usage d’une toiture auparavant inutilisée.
Ici, la vue magnifique en surplomb sur l’Esplanade de la Place-Ville-Marie et l’avenue McGill College permet d’embrasser du regard cette zone du centre-ville montréalais qu’Ivanhoé Cambridge est en train de renouveler en profondeur.
LENNON ET LA SUITE ROYALE
Certains hôtels sont associés à des moments phares de l’histoire de la musique populaire. On pense bien sûr au Chelsea de New York, mais le Reine Elizabeth est aussi de la courte liste. C’est ici que John Lennon et Yoko Ono effectuèrent leur deuxième Bed-in for Peace, en 1969, enregistrant au passage la chanson Give Peace a Chance.
S’il était possible avant les rénovations de louer la mythique suite 1742 où l’événement avait eu lieu, l’hôtel a décidé de tirer parti de son histoire unique et d’approfondir cette relation avec Lennon.
« À notre époque, précise Martin Leblanc, chaque marque, chaque hôtel, essaie de se trouver un parcours narratif qui raconte son caractère unique. Ici, nous avons décidé de mettre cette histoire en valeur. »
Suite John Lenon & Yoko ono – Photo © Félix Bernier, MASSIVart
La suite comprend donc de multiples clins d’œil à ses célèbres occupants de quelques jours, que ce soit sur le plan du mobilier ou des œuvres d’art qu’on y trouve. Les fanatiques de Lennon apprécieront aussi le mur de documents audio et vidéo rassemblés derrière des façades de tiroirs de classeurs, à la manière d’un grand meuble d’archives. Ils pourront même gratter la guitare fournie pour entonner la chanson classique composée par l’ex- Beatle ou revivre le Bed-in au moyen d’un casque de réalité virtuelle.
Accessible par un ascenseur privé, elle propose des espaces polyvalents, comme la salle à manger qui sert aussi de salle de réunion, avec appareils technologiques dissimulés dans le mobilier. Chacune des pièces en enfilade profite d’un aménagement recherché qui atteint un bel équilibre entre luxe et sobriété.
La pureté des espaces et les matériaux nobles utilisés composent un écrin unique pour les nombreuses œuvres d’art qui décorent la suite, tandis que les vues grandioses sur l’extérieur sont entre autres soulignées par une grande fenêtre panoramique en porte-à-faux.
Suite Royale – Photos © Stéphane Brugger
COURONNEMENT
Ultime création, l’Espace C2 est un tout nouvel équipement construit sur le toit de l’immeuble. Cette grande salle de conférence, issue d’une collaboration entre Fairmont et C2, constitue un attrait de plus pour l’hôtel.
Comme ce dernier, il se destine à une clientèle d’affaires mondiale, à la recherche d’expériences hors du commun. Mettant à profit la situation unique qu’offrait la toiture, Sid Lee Architecture en a fait le prototype d’une salle de conférence nouveau genre, adaptée à la culture d’affaires actuelle.
Salon Gold – Photos © Stéphane Brugger
Commerce, communauté, culture : voilà les trois pôles qui ont guidé tout le projet de revitalisation de l’hôtel Reine Elizabeth. Dans le respect de ce cadre, un travail en profondeur a été effectué par les architectes, pour définir ce que ces grands piliers sociaux représentent aujourd’hui dans le secteur hôtelier, et ainsi orienter la nouvelle incarnation de l’hôtel.
Si Martin Leblanc et Jean Pollard admettaient avoir abordé le projet avec une certaine naïveté, on ne peut que constater la réussite de l’approche souvent audacieuse de Sid Lee Architecture. « C’était la première fois que nous travaillions sur un hôtel, et cela nous a permis d’avoir une certaine fraîcheur dans notre approche. Cela a contribué à définir la personnalité unique du projet. »