Smoked Meat / Publié le 20 décembre 2020
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INTÉRIEURS #79
Prix Hommage GRANDS PRIX DU DESIGN 2020
Par Madeleine Champagne
“ Les pionniers de la race humaine sont ceux qui ont lu directement dans le livre de l’univers.”
– Arthur Schopenhauer
ÉTINCELLE
Devant moi, un homme souple comme un chat, aux yeux rieurs et vifs, dont le regard s’assombrit un ins- tant lorsqu’il nous parle de son enfance, qu’il déclare un peu grise. Mais sa mine s’ensoleille aussitôt grâce au souvenir de son grand-père maternel, Cémélas de Champlain, un colosse. Il était boulanger-pâtissier, mais aussi un homme de goût, un esthète, particularité dont il a hérité, dit-il en riant : le « gène de la créativité ».
UN DESIGNER EN HERBE
Il décrit sa jeunesse comme étant malheureusement teintée par un sentiment lancinant de «ne n’être personne». Petit répit à 13 ans quand il entreprend de repenser la décoration de sa chambre et de redorer le sous-sol de sa maison familiale. Sept ans plus tad, arrivé à Paris, il se sent enfin chez lui !
RENAISSANCE À PARIS
Frais émoulu de l’École des arts appliqués de Montréal, il s’inscrit alors à l’Académie Charpentier, à Paris. C’est un étudiant talentueux qui obtient son diplôme. Ô bonheur ! Jean Prud’homme Béné, décorateur reconnu, l’embauche pour sa nouvelle boutique, sur la rue Saint- Louis-en-l’Île. Enfin un métier qui était le sien.
Sa première cliente est Michelle Morgan, dans toute sa splendeur, en quête de «voilages» pour son domicile ; plus tard, sa première cliente en design d’intérieur à Montréal sera Denise Filiatrault. «La discothèque de Denise a lancé ma carrière, arme-t-il. La vie m’a donné deux marraines emblématiques.»
UN PIONNIER SUR LE CONTINENT
Le retour à Montréal fut brutal; le métier de décorateur n’est pas en demande. Pour les grands projets, les clients préfèrent se rendre à New York ou à Toronto. Mais il est fidèle à son rêve de devenir le créateur le plus recherché de son domaine.
Son éthique de travail acharné a aidé à lancer sa prolifique carrière en 1967, tout comme son cercle d’amis aux yeux du public, parmi lesquels Yvon Deschamps, André Montmorency, Renée Claude et Clémence Desrochers, qui lui ont tous confié la conception de leur maison, restaurant… ou discothèque.
COMPLICE DE DÉCORMAG
Une jeune femme audacieuse, entêtée et persévérante, Ginette Gadoury, lance le magazine Décormag en 1972, un magazine qui avait pour mission de promouvoir le design et les créateurs d’ici.
Quelques mois plus tard, un décor réalisé par Philippe Dagenais y est présenté.
Une grande complicité va alors s’établir entre les deux, une véritable symbiose qui enrichira les pages du magazine et nourrira également la notoriété du designer.
On disait à l’époque « C’est une maison Décormag », ou encore « Ce décor, c’est du Philippe Dagenais » !
DÉCORMAG EN PHASE AVEC SON STYLE
Son style était unique. L’enfant prodige du monde de la décoration intérieure a introduit un style hyper-moderne caractéristique des années 60 révolutionnaires, un style qui marquera l’histoire du Montréal tendance.
Philippe Dagenais n’a jamais suivi les tendances. Il a toujours préféré les formes géométriques, des palettes sobres avec juste un éclat de couleur, des surfaces lisses et des matériaux nobles.
Toujours inspiré par Andrée Putman, designer inclassable, atypique et profondément libre.
Son ambition est d’être «pas à la mode, mais jamais démodée».
C’est la seule tendance qui l’a toujours animé. Il ajoute, à juste titre, que même dans la conception de meubles, il n’en copiait pas d’autres, mais essayait d’être différent.
LE GROUPE DES SEPT
Finalement, avec quelques autres concepteurs d’ici : Maryse Duval, Serge Lafrance et Madeleine Arbour, entre autres, cette collaboration avec Décormag et Ginette Gadoury a vu naître une approche et une marque authentiquement québécoises.
On pourra aussi dire que c’est à ce moment que le design d’intérieur local a pris sa juste place au soleil et a pu rayonner hors frontières. Cette alliance durera plusieurs années, et l’amitié perdure.
CONSEILLER DES CLIENTS, OUI, MAIS AUSSI LES ÉQUIPER
Désireux d’offrir à ses clients des meubles, des éclairages et des accessoires design assortis à son style et à ses convictions, Philippe Dagenais ouvre ses premiers ma- gasins au début des années 80. Sa signature devient le nom de son entreprise.
Au début, pionnier dans son concept et avec l’aide d’un associé, Pierre Loiselle, ses achats, ses conceptions et sa direction artistique reflèteront ses goûts. La simplicité, la zénitude, une palette sobre et riche, des lignes épurées… le tout d’un bon goût indiscutable à l’allure certainement pérenne.
Ses idées susciteront un engouement, à Montréal comme en région, pour un en- vironnement plus stylé au Québec. Qui plus est, bien se meubler et vivre dans un habitat pensé par un professionnel n’était plus vu comme le privilège des riches, mais comme étant accessible à une plus large clientèle.
DESIGN 101
Désireux de diffuser la «bonne nouvelle», il apparait dans des émissions de décoration télévisées aux côtés de Dominique Michel et Danielle Ouimet. Une belle expérience pour lui, mais avec son humilité typique, il se dit «juste un bon acolyte» et il est très reconnaissant au Studio 5316 pour ses conseils sur la communication. Néanmoins, un spectacle «déco» était plutôt rare à l’époque et a certainement contribué à apprivoiser l’idée que l’ajout de design dans son environnement privé était une très bonne décision.
C’EST BEAU LA VIE
Il est reconnaissant des prix reçus, lui qui, en 1983, fut lauréat d’un prix d’excellence de Design Canada, puis en 1985, qui remportait deux trophées Habitas, décernés par le Salon national de l’habitation. Il a obtenu le titre de membre honoraire de l’APDIQ (Asso- ciation professionnelle des designers d’intérieur du Québec) en 2014 pour l’ensemble de sa carrière et pour avoir fait rayonner celle-ci au profit de la profession.
Entouré d’une grande affection de son ex-conjointe, la belle Andrée, de sa fille adorée, Laurence, et de son partenaire actuel, Claude Viau, peintre émérite et grand viking aux yeux sereins, il porte ses 76 ans avec élégance et conçoit toujours des intérieurs, en se permettant de choisir des projets qu’il aime. «Je cherche toujours la complicité avec mes clients. »
PS
Philippe Dagenais est intemporel. Il revisite certains clients plusieurs années plus tard qui n’ont pas du tout modifié son design. De plus, ils lui demandent souvent de concevoir les maisons de leurs enfants. C’est un design solide et intemporel. Éternel !
Visionnez cette courte vidéo exclusive montée par Sophie Thibault, grande amie du designer, en souvenir de la remise de prix hommage à Philippe Dagenais lors Du Gala GRANDS PRIX DU DESIGN 2020.